Le texte en format mis en page pdf sur http://squat.net/tanneries/documents/Tanneries_-_Mayday.pdf

Un énième projet d’urbanisme plane sur le quartier des abbatoirs, ce qui, pour la Mairie et ses promoteurs immobiliers, semble impliquer que l’espace autogéré des Tanneries doive dégager. Dans ce contexte, les collectifs impliqués dans le lieu souhaitent prendre position sur ce qui peut relier les résistances qui s’intensifient en ce printemps 2009, et la mobilisation pour le maintien de telles structures autogérées. Ce texte vise ainsi à souligner les enjeux autour des espaces de convergence des luttes, d’organisation matérielle, d’échanges et de transmission – espaces où puissent également se renforcer d’autres rapports sociaux.

L’espace autogéré des Tanneries est un centre social, culturel et politique, ouvert en 1998 par un ensemble de collectifs et individus, mus par le besoin d’un espace autonome, affranchi des dynamiques politiques institutionnelles et des structures hiérarchiques existantes ; motivés par la nécessité de créer et faire vivre des pratiques qui ne soient soumises ni aux impératifs de rentabilité, ni à l’aseptisation bureaucratique. Une initiative qui, en parallèle de nombreuses autres, se veut acte d’insoumission face à un ordre social qui exclut et exploite, réprime et expulse, vise à réduire nos vies à des maillons normalisés, productifs et jetables.

Taxé·e·s d’utopistes par certains, nous pensons cependant avoir montré, par 10 années de pratiques autogestionnaires, de vie collective, d’évènements hebdomadaires (projections, concerts, débats, manifestations, expos, etc.) et de construction de structures d’activités ouvertes à tou·te·s, qu’un tel fonctionnement était possible, tandis que l’économie de marché peine fort, en ces temps de “crise” économique, écologique et sociale, à garder une quelconque crédibilité.

S’autonomiser

La situation actuelle ravive les débats sur nos modes de vie, la course à la consommation, les logements trop chers et les boulots de merde payés des miettes. Elle peut permettre de reposer ensemble la question de notre subsistance, avec nos ami·e·s, nos voisin·e·s, nos collectifs et se donner les moyens de réduire l’emprise marchande sur nos vies. Elle pousse à renouer avec des solidarités, des pratiques d’entraide, d’action collective et de mutualisation de ressources que le capitalisme et l’atomisation individuelle avaient tout fait pour éroder.

Dans plusieurs villes, certain·e·s n’ont pas hésité à s’organiser pour aller prendre ce dont ils et elles avaient besoin là où cela se trouvait, pratiquant l’autoréduction, redistribuant ainsi partie des “richesses” de ces supermarchés qui nous rackettent au quotidien ; pendant que dans tel quartier, certain·e·s ont décidé de transformer un carré de terre délaissé en potager, d’occuper des logements vides, d’autres encore de se constituer en groupe pour court-circuiter les géants de la distribution et soutenir les producteurs de leur région, d’autres de monter une caisse de grève.

…pour des espaces de résistance !

C’est dans une logique similaire qu’a pris forme le projet de l’espace autogéré des Tanneries, par la distribution directe et sans marge commerciale, de musique ou lectures lors de ses concerts et évènements. Mais aussi en s’attachant à produire des légumes, à collectiviser des outils, des espaces ou des jurisprudences, à recycler et construire des vélos ou des ordinateurs, ou à mettre en place une zone d’échange non-marchand ou chacun·e puisse venir prendre ou donner gratuitement…

Demander une simple participation aux frais ou développer la gratuité, afin que chacun·e participe selon ses possibilités, sans risquer d’être exclu·e par manque de moyens ; refuser les subventions et la dépendance aux institutions qui en découle, en leur opposant un investissement individuel et collectif, un ancrage dans le local et des échanges directs de ressources, de coups de main, de matériel… sont parmi les pistes que nous avons explorées pour ôter à l’argent sa centralité, à défaut de pouvoir encore totalement s’en passer.

Intensifier les luttes

Des piquets de grèves et usines occupées aux universités bloquées, en passant par les espaces réappropriés ça et là… naissent les rencontres, dynamiques, perspectives de lutte d’aujourd’hui et de demain. Le collectif des Tanneries et les groupes qui s’y impliquent se sont souvent directement investis dans les résistances de ces dernières années localement et au-delà sur la question des sans-papiers, des prisons, des OGM et de l’industrie pétrolière, du logement et des squats, de l’éducation et de la précarité, ou encore de l’installation d’un réseau de vidéo-surveillance à Dijon et de bornes biométriques à l’entrée des écoles…

L’espace autogéré en tant que tel s’est aussi peu à peu constitué en lieu relais. Un lieu où peuvent se débattre et se poursuivre les aventures collectives initiées lors de ces moments de lutte, se tisser plus avant des complicités et projets, et se conserver l’énergie d’un mouvement, au lieu d’en observer la vague retomber. L’espace autogéré est de ces lieux ressource – certain·e·s y viennent organiser un concert de soutien pour une boîte en grève ou une radio libre au Mexique, préparer des rencontres anticapitalistes ou un séminaire sur les logiciels libres, fabriquer une banderole ou réfléchir une action, d’autres y écrire un tract ou y proposer un débat, y éditer un journal ou un site d’information militante, d’autres encore se plonger dans sa bibliothèque ou ses archives, s’imprégner des luttes passées et présentes. Les Tanneries constituent aussi un lieu de réunion et de travail pour divers réseaux et groupes militants à Dijon et à travers la France… Un lieu qui entend ne pas se contenter d’accompagner le mouvement social, mais plutôt en être une composante à part entière.
Vers des combats convergents

Les rapports conflictuels avec les autorités qui ont essayé à diverses reprises de nous faire partir, tout comme la répression accrue frappant salarié·e·s, étudiant·e·s, précaires, de plus en plus nombreux/ses à dépasser les bureaucraties syndicales ankylosées et à taper du poing plutôt que de se laisser berner, nous donnent à penser que le pouvoir a peur de voir un nombre sans cesse croissant d’individus s’auto-organiser.

Si les Tanneries existent encore aujourd’hui, ce n’est qu’au terme d’années de bataille contre les tentatives d’expulsion menées par les municipalités successives, et grâce à un large soutien venu de Dijon, mais aussi de toute l’Europe. Face au mythe du “dialogue social”, nous avons maintes fois pu vérifier, comme de nombreux-ses autres manifestant·e·s, que l’action directe était nécessaire : qu’il s’agisse d’une manifestation, du blocage de la préfecture ou des flux économiques, d’une incursion surprise lors du conseil municipal, d’une occupation de conseil d’administration ou de la séquestration d’un patron… seule la lutte paie !

Il s’agit pour nous aujourd’hui de ne pas rester cloisonnés dans nos revendications spécifiques, si nous voulons constituer des rapports de force conséquents à même d’impulser des revirements. C’est dans ce sens que les Tanneries s’inscrivent dans le collectif du 19 mars et autres initiatives interluttes et assemblées populaires. Et s’il nous semble essentiel que l’espace autogéré subsiste, en incitant chacun·e à visibiliser son soutien, nous tenons surtout à ce que puissent éclore des dizaines de ces espaces de possibles, que se renforcent ceux qui existent déjà, et que se rencontrent dans des actions complémentaires leurs acteurs et actrices – grévistes, employé·e·s, chômeurs et chômeuses, sans-papiers, précaires, étudiant·e·s, révolté·e·s, sans étiquette et autres oublié·e·s.

1ier mai 2009,

Groupe Libertaire, Maloka, Collectif des Tanneries, CNT 21.